Un rituel sacré maya demande que la grâce éclaire le monde entier pour qu’il soit attentif au respect des droits. Pilar Valbuena, GLF

Contre le changement climatique, aucun bouclier n’est plus fort que les droits

09 juillet 2019

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Quand allons-nous réaliser que nous sommes le sauveur que nous attendons ? / Nous sommes l’espoir de l’avenir parce que nous sommes l’avenir. – Aka Niviâna, « We are the future » (Nous sommes l’avenir)

Il y a un peu plus d’un an, la jeune poétesse inuk Aka Niviâna est revenue d’urgence au Groenland, son pays natal : elle était en train d’oublier sa langue maternelle.

Les deux fines lignes verticales tatouées entre sa lèvre inférieure et le bas de son menton représentent visuellement la résonance de ses paroles après qu’elles ont été prononcées. Le « sauveur » ne devrait pas doter d’un avenir seulement certaines personnes qui se conforment aux règles, mais tout le monde en toute équité. « Nous » ne désigne pas un ensemble démographique limité à un pays, une profession ou une tranche de revenus, mais englobe tous les humains de la planète. Et l’avenir est seulement un avenir s’il inclut tout ce que « nous » sommes : nos langues, nos cultures, les êtres que nous aimons, nos divers environnements, nos maisons.

Les 22 et 23 juin 2019, plus de 600 personnes sont venues du monde entier au Forum mondial sur les paysages (GLF) de Bonn, en Allemagne, pour se rallier derrière une nouvelle approche permettant de réaliser cet avenir – un avenir plus inclusif et durable que le présent – grâce à la mise en place de droits appropriés et garantis pour tous.

Desmond Alugnoa at Inspirational Leadership plenary
« L’initiative et le pouvoir sont deux choses différentes », a déclaré Desmond Alugnoa, cofondateur de Green Africa Youth Organization dont le siège est au Ghana. Pilar Valbuena, GLF

Organisé en marge de la Conférence de la CCNUCC sur les changements climatiques de Bonn (SB50), cet événement du GLF s’est ouvert avec le poème d’Aka Niviâna pour donner le ton de ces deux jours consacrés aux droits des intendants irremplaçables de l’environnement de la planète, qui sont aussi les personnes les plus privées de droits, les plus menacées et accusées de crimes : les populations autochtones, les communautés locales, les femmes et les jeunes.

Les 350 millions d’autochtones du globe constituent le bouclier le plus puissant contre le changement climatique, car leur territoire recèle 80 % de la biodiversité mondiale et séquestre presque 300 milliards de tonnes de carbone (soit 33 fois le volume des émissions énergétiques mondiales en 2017). Étant donné que nous nous rapprochons de la date butoir de 2030 fixée pour les objectifs de développement durable (ODD) et la limitation du réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius et que ces objectifs hautement ambitieux sont loin d’être atteints, les instances qui débattent de l’avenir de la planète commencent à prendre conscience qu’il est crucial de préserver la relation de ces populations avec la nature, non seulement pour leur bien, mais dans l’intérêt de l’humanité toute entière.

Le Forum, qui propose chaque année un thème différent décliné dans un éventail d’événements, d’informations, d’ateliers, d’actions de sensibilisation destinées aux communautés et de formations en ligne, a dédié l’année 2019 au respect des droits, afin de donner aux droits sur la terre la visibilité nécessaire pour pouvoir les propulser au premier plan des débats mondiaux, de présenter le respect des droits comme une solution à la crise climatique, et d’élaborer un « référentiel » pour les droits.

La rédaction de ce nouveau référentiel s’est déroulée dans les mois précédant le GLF sous l’égide de l’Indigenous Peoples Major Group for Sustainable Development et de Rights and Resources Initiative. Les deux jours de débats serviront de consultation sur le projet de texte qui sera finalisé d’ici la fin de l’année pour devenir un guide concret, destiné aux organisations, aux institutions, aux pouvoirs publics et au secteur privé, sur l’application de différents principes en matière de droits (le consentement préalable donné librement et en connaissance de cause, l’égalité sur le plan du genre, le respect du patrimoine culturel et l’éducation) et sur les avantages qui peuvent en découler.

Candles at Mayan ceremony represent the elements
Des bougies ont été allumées en signe de respect pour les différents éléments : le soleil, la nuit, les lieux froids, l’air, le cosmos et « notre mère la Terre ». Pilar Valbuena, GLF

Comme l’a fait remarquer Vicky Tauli-Corpuz, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, les terres gérées par les populations autochtones dont les droits sont respectés présentent moins de déforestation, ainsi que plus de biodiversité et de stocks de carbone que les zones protégées par les pouvoirs publics.

« Nous prenons la défense du monde, pour chacun d’entre nous », explique Geovaldis Gonzalez Jimenez, porte-parole des paysans autochtones de zone de Montes de María dans la région caraïbe de la Colombie. Mais un certain nombre de secteurs, dont l’industrie des combustibles fossiles, l’agriculture intensive, la mine, mettent non seulement les paysages en danger, mais également la vie des personnes qui y vivent. G. Gonzalez Jimenez rapporte que, rien que cette année, 135 meurtres ont eu lieu dans sa région ; et la veille de l’ouverture du GLF, un leader local a été tué devant un garçon de 9 ans.

« Notre identité est menacée, et nous devons faire obstacle à son éradication complète », témoigne Diel Mochire Mwenge, qui dirige le Programme de développement des Pygmées en République démocratique du Congo (RDC). C’est dans ce pays qu’il a été témoin de l’expulsion de plus d’un million de personnes des terres où elles avaient toujours vécu pour les convertir en parc national, sans rien recevoir en contrepartie de l’écotourisme qui les a remplacées, et se retrouvant à lutter pour trouver de nouveaux moyens de gagner leur vie.

Dans le Jharkhand en Inde, le militant Gladson Dungdung, dont les parents ont été tués en 1990 parce qu’ils avaient assisté à un procès concernant un différent lié à la terre dans le voisinage, signale qu’un amendement de la loi indienne sur les droits dans les forêts, en cours de révision par la Cour Suprême, pourrait chasser 7,5 millions d’autochtones de leurs domaines forestiers natals, et impacter 90 millions de personnes qui dépendent des ressources de ces forêts pour vivre. Il indique que cet amendement conférerait aussi un pouvoir absolu au garde forestier national ; si l’un de ceux-ci voyait une personne dans la forêt en train de chasser ou de ramasser du bois, il aurait le droit de tirer à vue.

« Les populations autochtones sont vraiment en première ligne du combat pour les forêts du monde, un combat très dangereux et malheureusement bien réel », a déploré dans une allocution en vidéo l’acteur Alec Baldwin qui milite en faveur des droits des autochtones.

Les défenseurs de la cause environnementale sont les « héros du mouvement écologiste », a déclaré Jennifer Morris, présidente de Conservation International. « Pourquoi n’entendons-nous pas parler de ces porte-drapeaux avant qu’ils ne deviennent des martyrs au nom de cette cause ?

Ghanaian actress Joselyn Dumas
Joselyn Dumas, actrice, animatrice de télévision et militante. Pilar Valbuena, GLF

Les cas d’intimidation, de criminalisation, d’expulsion et de détresse donnés en exemple tout au long de la première journée du GLF concernaient un vaste éventail de problèmes, de la reconnaissance du mariage homosexuel par les anciens de la communauté indienne navajo en Amérique du Nord à la pollution par le mercure des eaux des Îles Cook en passant par l’égalité des droits pour les femmes. « L’égalité en termes de genre est plus qu’un but, c’est la condition nécessaire pour atteindre les autres buts », insiste l’actrice et militante ghanéenne, Joselyn Dumas.

Pour autant, l’argumentaire sur les droits que les participants du GLF essaient d’élaborer n’est pas une présentation négative de la situation, qui chiffrerait uniquement les pertes en vie humaine et les destructions de l’environnement. Comme la beauté fait vendre, le premier jour a prouvé que, pour ouvrir les yeux sur la force des droits, il fallait laisser la scène à tout ce qui est indissociable des droits : les traditions, les histoires, le savoir ancestral, les sons, les vêtements colorés typiques, les gestes traditionnels et l’âme d’un peuple.

Nous devons « changer de refrain et remplacer la peur et le catastrophisme par l’espoir et l’action », a fait savoir Hilary Tam, Directrice de la stratégie de l’agence londonienne Futerra, qui a imaginé comme pendant aux ODD un programme d’objectifs d’actions individuelles, baptisés les Good Life Goals (les bons objectifs de vie). « Dans ce cas, l’optimisme est essentiel, parce que, à chaque fois, l’espoir est plus fort que la peur. »

C’est une ancienne cérémonie maya qui a donné le coup d’envoi de l’après-midi, avec un autel de chandelles symboliques et colorées, de fruits et de fleurs et avec des chefs autochtones et des représentants de communautés venus de très loin, tels les Masaaï du Kenya et les Taymur de Russie qui ont demandé à une puissance supérieure d’accorder au GLF sagesse, bien-être et inspiration éclairée. Des images de jaguar et de tigres ont été évoquées pour rappeler les énergies féline et féminine et pour ouvrir l’esprit des participants aux plus hauts niveaux de conscience, ont commenté les chefs.

Music during the Mayan ceremony
La musique accompagne la cérémonie maya. Pilar Valbuena, GLF

Candice Pedersen, qui représentait les Inuits de l’Arctique canadien au cours de cette cérémonie, a passé son enfance à camper avec sa famille pendant des semaines d’affilée, vivant de ce qu’ils trouvaient sur leur territoire, pêchant les coques, cueillant les baies et chassant le caribou. « Le savoir de son peuple, dit-elle, est très étendu ». Elle se souvient que, après plus d’un siècle de recherches infructueuses pour retrouver les deux navires de l’expédition Franklin disparus en 1854 dans l’Arctique canadien, ils ont très vite été retrouvés en 2014 et en 2016 lorsque les chercheurs ont consulté les Inuits qui connaissaient le lieu des naufrages.

« Si, au lieu d’écouter, nous attendons juste de pouvoir parler, nous n’entendons rien », affirme J. Morris.

« Chaque grain de sable, chaque plante, chaque plan d’eau, chaque type de vent et la course éternelle du soleil et de la lune figurent dans toutes les histoires relatant la création de mon peuple », a raconté Janene Yazzie, Indienne de la tribu diné en Amérique du Nord qui a eu le sentiment lors de ses études dans une université de l’Ivy League d’être mal préparée à la carrière qu’elle voulait, c’est-à-dire œuvrer pour le respect des droits de son peuple.

« Voilà comment nous envisageons nos paysages. C’est ce savoir ancestral profondément ancré en nous qui relie nos luttes actuelles à quelque chose de plus profond que de viser l’égalité et l’inclusivité dans des organisations humaines et des institutions imparfaites qui ne comprennent pas le caractère sacré fondamental de l’univers. »

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