Axel Fassio, CIFOR

Entre applications autochtones et festivals d’art, l’Afrique se restaure de multiples façons

01 novembre 2019

La restauration des écosystèmes, telle qu’elle est définie par le programme des Nations Unies pour l’environnement, consiste « à inverser le processus de dégradation des écosystèmes, tels que les paysages, les lacs et les océans, afin qu’ils regagnent leur fonctionnalité écologique ».

Pour certains, la restauration des écosystèmes signifie revenir à des paysages tels qu’ils se présentaient avant que les humains n’enfouissent leurs états naturels sous le développement et les infrastructures. Pour d’autres, elle représente la transformation de terres dégradées en écosystèmes qui contribuent aussi à la réalisation d’objectifs sociaux et économiques, selon une nouvelle harmonie naturelle.

Rosemary Atieno, figure nationale kenyane de l’organisation Women’s Climate Center’s International, la voit comme le moyen de soulager les femmes de leurs difficultés croissantes pour assurer l’approvisionnement en nourriture, en eau et l’éducation de leurs enfants et de leur famille. Pour Nana Ama Yirrah, directrice exécutive et fondatrice de l’organisation ghanéenne de défense des droits sociaux COLANDEF, il s’agit de sécuriser les régimes fonciers et l’accès des communautés locales et autochtones à leurs terres et leurs héritages.

Son Altesse Royale Sylvia Nagginda, Nnabagereka (Reine) du Buganda, la voit comme un retour de la civilité et des « valeurs sociales essentielles que sont le respect, la dignité, la responsabilité et l’intégrité, parmi d’autres ».

Agriculteurs, membres de la royauté africaine, entrepreneurs, artistes, universitaires, responsables d’organisations, jeunes et autre intervenants de la première journée du Global Landscapes Forum (GLF) organisé à Accra au Ghana, les 29 et 30 octobre, sont venus des quatre coins du continent pour partager leur conception de la restauration des écosystèmes : une solution, quelle qu’elle soit, qui les aidera à faire face aux défis et périls croissants posés par le changement climatique.

La présentatrice de télévision et actrice Michelle Atoh a animé des séances plénières lors de l’événement. Musah Botchway, GLF
La présentatrice de télévision et actrice Michelle Atoh a animé des séances plénières lors de l’événement. Musah Botchway, GLF

Le GLF, intitulé « Restauration des paysages d’Afrique : relier les actes de la base au sommet », s’est ouvert après quatre jours de rencontre entre les partenaires et les responsables de l’Initiative pour la restauration des paysages forestiers africains (AFR100), un effort auquel 28 pays d’Afrique ont adhéré dans le but de restaurer 113 millions d’hectares. La journée s’est achevée par la prestation de Rocky Dawuni, artiste ghanéen nommé aux Grammy Awards dans la catégorie racines africaines et Ambassadeur de bonne volonté des Nations Unies.

Avec une région abritant la seconde plus vaste forêt tropicale et la ceinture de tourbières tropicales la plus large au monde, d’immenses lacs qui forment ensemble 27 pour cent des réserves mondiales d’eau douce et des prairies tropicales accueillant quelques-unes des formes de vie animale les plus diverses et rares de la planète, les paysages d’Afrique ont un rôle crucial à jouer pour l’avenir des êtres humains sur Terre. Mis à part la capacité de séquestration du carbone des sols tourbeux intacts et des forêts et savanes en bonne santé, les écosystèmes africains sont indispensables pour nourrir et faire vivre leur population en pleine expansion, laquelle représentera la moitié de la population mondiale d’ici 2050.

Nous vivons une période faste pour la restauration des écosystèmes, entre le Sommet Action Climat organisé en septembre dernier par les Nations Unies, qui reconnaissait le pouvoir des « solutions basées sur la nature » pour lutter contre le changement climatique, telles que la plantation d’arbres dans les exploitations pour améliorer la valeur nutritionnelle des cultures vivrières et la production de prairies sous-marines visant à capter le carbone de l’atmosphère, et la Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes, adoptée par l’Assemblée générale au mois de mars, et qui démarrera en 2021, un an seulement après sa conception.

Et, au cœur de cette prise de conscience croissante des bénéfices offerts par la restauration, qui s’inscrit en priorité dans les pays du Sud, le continent africain est souvent la première destination des nombreux organismes de développement et de l’environnement qui cherchent à investir, par le biais d’aides financières, de l’autonomisation sociale ou d’une assistance technique.

Toutefois, ce n’est pas l’aide accordée à l’Afrique qui a monopolisé le temps d’antenne du premier jour du Forum, mais plutôt comment l’Afrique se prend elle-même en main.

Environ 800 intervenants, vivant et travaillant sur le continent, ont pris part à de nombreux événements, séances plénières très suivies et groupes de discussions plus restreints, pour échanger sur des solutions déjà implantées et développées au sein de leurs propres communautés – les méthodes qu’ils appliquent actuellement chez eux, sur leurs terres ancestrales, étant rapidement dépassées et entrant dans une spirale de mutations dangereuse.

« J’ai parfois l’impression que toutes les solutions sont déjà à portée de main, mais nous n’avançons pas car nous n’arrivons pas à les relier toutes entre elles », a commenté Desmond Alugnoa, cofondateur de l’organisation Green Africa Youth Organization, résumant parfaitement le sujet du jour.

« On ne peut pas demander aux gens d’arrêter les activités qui les nourrissent si on ne leur propose pas une alternative », a confié Basiru Isa, d’Indigenous Peoples Major Group for Sustainable Development, soulignant le besoin de délaisser les modes de vies sources de dégradations au profit de nouvelles approches, dont des exemples ont été proposés tout au long de la journée. Nombre de ces exemples ont été rapportés par de jeunes entrepreneurs, anticipant le basculement démographique du continent, qui sera composé à 60 % de personnes de moins de 25 ans. Si les réunions organisées par AFR100 s’intéressaient plus largement à des projets de grande envergure, tels que le développement durable de plantations et le reboisement, les initiatives présentées au GLF était souvent mises en œuvre sur une plus petite échelle et sans soutien ni aide extérieure.

Des écoliers chantent sur scène sur le thème du changement climatique Musah Botchway, GLF
Des écoliers chantent sur scène sur le thème du changement climatique Musah Botchway, GLF

Kennedy Kirui, entrepreneur dans les technologies à Nairobi, a collaboré avec des concepteurs de Google pour développer une application baptisée AfriScout, qui envoie des données géospatiales sur les téléphones portables de gardiens de troupeaux semi-nomades au Kenya, en Éthiopie et en Tanzanie, dans sept langues autochtones, et leur indique où trouver du fourrage pour faire paître leurs bêtes.

David Ojay, dont la grand-mère a payé l’éducation de ses enfants grâce à l’argent tiré de la pêche sur le lac Victoria, en Afrique de l’Est, communique aujourd’hui sur l’état dégradé et pollué du lac auprès des communautés riveraines par le biais de l’art, la poésie et la musique, la langue du changement climatique leur étant étrangère, avec pour point d’orgue le NAAM, festival d’arts tenu chaque année. Les jacinthes d’eau qui pullulent sur les eaux sont maintenant exploitées par les populations locales qui créent et vendent des produits tressés. « Nous fabriquons des paniers à partir de cette menace qui tue et étouffe notre lac », a-t-il ajouté.

Constance Okollet, une agricultrice en Ouganda, s’est associée à Rosemary Atieno et à d’autres femmes pour fonder les Women’s Climate Centers International, qu’elles envisagent comme des « guichets uniques » où les femmes des zones rurales peuvent trouver des technologies hyperlocalisées et simples pour aider leur communauté spécifique à faire face aux difficultés rencontrées telles que la production de nourriture, l’assainissement de l’eau, la santé et l’éducation.

« Les partenaires du développement doivent écouter, s’adapter et comprendre que la restauration se fera sous diverses formes, selon les besoins, et qu’il n’y a pas de modèle préétabli », a affirmé Stewart Maginnis, directeur monde du groupe de solutions basées sur la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Erica Armah Bra-Bulu Tandoh, DJ star de 11 ans au Ghana, connue sous son nom de scène DJ Switch, a commenté, telle une métaphore des nombreuses méthodes de restauration dont l’Afrique a besoin, qu’« Un arbre ne peut pas produire de forêt, mais beaucoup d’arbres ».

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