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Eaux troubles : Exploration de la gouvernance des mangroves dans le delta de Rufiji en Tanzanie et dans les autres pays
NAIROBI, Kenya (Landscape News) — Quand il s’agit de gouvernance et de gestion, les mangroves de la planète sont fréquemment oubliées sur la carte.
Se trouvant dans des eaux troubles à l’interface entre le milieu terrestre et le milieu marin, elles sont souvent considérées comme des formations buissonnantes empoisonnantes qui défigurent le littoral et empêchent d’accéder à la plage.
Cependant, des millions de personnes comptent sur l’écosystème des mangroves pour se nourrir et gagner leur vie, ainsi que pour protéger leur maison et leur exploitation agricole des fortes marées et des ondes de tempête.
Par exemple, une étude de cas récente réalisée par le Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) révèle que dans le delta de Rufiji en Tanzanie, les habitants récoltent le bois des mangroves pour en faire des piquets et des poteaux, du bois de chauffage et du charbon de bois, et se servent des fruits et des racines à des fins thérapeutiques. De nombreuses espèces de poissons s’y reproduisent et les villageois les pêchent pour se nourrir et les vendre.
Ces dernières années, l’intérêt des mangroves pour la séquestration du carbone et la préservation de la biodiversité dans le contexte du changement climatique a aussi attiré l’attention des scientifiques, des professionnels de la conservation et des citoyens attentifs dans le monde entier.
Cependant, la plupart des travaux de recherche effectués jusqu’ici ont mis l’accent sur les éléments biophysiques et écologiques de ces milieux, plutôt que sur les populations et les responsables des orientations politiques dont l’action, ou l’inaction, entraîne des conséquences pour les forêts au quotidien.
Maintenant, une étude mondiale du CIFOR , dont fait partie le cas du delta de Rufiji, cherche à rectifier ce déséquilibre. Ce rapport explore la gouvernance des mangroves dans divers cadres écologiques et sociaux, dans le but de mieux cerner les types de conditions qui favorisent une bonne gouvernance de ces écosystèmes afin de remplir plusieurs objectifs.
Au Forum mondial sur les paysages (GLF) de Nairobi qui a lieu à la fin de ce mois, un événement en parallèle, précisément dédié à la préservation et à la restauration de la mangrove sur le littoral du continent africain, attirera un éventail de parties prenantes et permettra de passer en revue les enseignements dégagés des recherches entreprises dans le delta de Rufiji et les écosystèmes de mangroves de la planète.
PROTECTIONNISME SOUS PRESSION
Le delta de Rufiji est doté d’environ 22 000 hectares de mangroves, qui figurent parmi les plus étendues d’Afrique de l’Est. Il constitue le plus important domaine de pêche du littoral tanzanien et représente environ 80 % des prises de crevettes sauvages. C’est aussi un lieu particulièrement utile à l’exploration des bonnes pratiques en gestion des mangroves, parce qu’un certain nombre d’approches différentes sont en cours de test.
Historiquement, les mangroves de Rufigi ont été classées réserves forestières. L’État, par l’intermédiaire du Tanzania Forest Service (TFS), en est propriétaire et a réglementé les droits d’accès et d’usage des communautés locales, mais dans la majeure partie des secteurs, cette démarche a échoué. Les membres des communautés et des personnes venues de l’extérieur ont continué à exploiter ces forêts et l’État ne disposait pas de ressources et ne pouvait pas coordonner les interventions pour les en empêcher. C’est ainsi que ces forêts ont subi une détérioration régulière, puis un déclin.
Pourquoi cette approche n’a-t-elle pas réussi ? Il semble pour l’essentiel que les politiques protectionnistes n’ont pas pris en compte le fait que les populations dépendaient des mangroves pour survivre ni la pression économique croissante observée dans le delta et aux alentours.
Cette expérience concorde avec les résultats de l’étude mondiale qui a révélé que l’autorité de gestion des mangroves est majoritairement aux mains des instances publiques, qui tendent à considérer que la protection des forêts est prioritaire par rapport à l’utilisation durable, pour ensuite s’évertuer à faire appliquer les décisions prises.
DROITS ET DEVOIRS : QU’EST-CE QUI FONCTIONNE ?
À partir de 2010, le TFS a commencé à tester différents modes de gouvernance et régimes fonciers, en vue de transférer la gestion forestière par une relation de collaboration entre les pouvoirs publics et des acteurs privés pour qui les mangroves et les autres ressources côtières sont importantes.
Parmi les modes d’organisation essayés, citons : des permis à court terme pour que des personnes cultivent le riz dans des zones précises tout en facilitant le recrû des mangroves (une forme de taungya), des programmes de réhabilitation en groupe qui permettent de payer des membres de la communauté pour reboiser, et une gestion forestière conjointe en vertu de laquelle les communautés négocient leurs droits et devoirs de gestion avec le TFS (bien que l’État reste propriétaire).
Le programme d’agriculture destiné à une personne n’a pas réussi à attirer de candidats. Les fermiers participants sont censés assumer un grand nombre de devoirs, et sont menacés de sanction en cas de défaillance, tout en ne recevant que des droits limités et relativement non sécurisés, sur une courte durée. Par conséquent, la plupart des fermiers impliqués dans le programme tendent à empêcher volontairement le recrû des mangroves, parce que, dès que les arbres atteignent une certaine hauteur, ils perdent le droit de cultiver la zone.
Les communautés ont été assez tentées par les programmes de réhabilitation collective en raison des avantages financiers qu’ils procurent. Cependant, parce que ces programmes ne confèrent pas de droits ni de devoirs de gestion à long terme aux membres de la communauté, ceux qui participent ne sont pas motivés à veiller à la survie des arbres, et dans de nombreux cas, reviennent cultiver ces zones après la fin du programme.
La gestion forestière conjointe attire plus à ce jour, car elle offre plus de droits et d’avantages que les deux autres mécanismes et ce cadre ne sanctionne pas les actes des membres des communautés (comme la récolte de bois, notamment pour faire des poteaux, du charbon de bois et du bois de chauffage).
Dans l’étude mondiale, on constate que les droits coutumiers et les modes d’usage et de gestion sont plus ou moins reconnus par la loi des divers pays et que c’est en Afrique qu’ils sont le moins reconnus par rapport à l’Amérique latine et à l’Asie. L’étude a clairement mis en évidence que lorsque les droits communautaires n’étaient pas respectés, les mangroves se détérioraient en général.
Mais, comme l’inefficacité des régimes protectionnistes devient de plus en plus évidente, les expériences de dévolution de droits fonciers et d’approches communautaires sont plus fréquentes. Les auteurs parlent d’un « début de transition concernant le régime foncier » qui se met en place dans bon nombre des sites étudiés, soit par une dévolution à l’initiative de l’État, soit « de facto par des communautés créatives qui élaborent leur propre règlement pour gérer leurs forêts », en collaboration avec les autorités locales et d’autres parties prenantes.
ENTENDEZ-NOUS !
Pour que la gestion des mangroves par les communautés soit efficace, il est crucial que tous les usagers de la forêt puissent participer aux prises de décision qui concernent cette forêt. Malheureusement, dans de nombreuses régions du monde, environ la moitié des usagers des mangroves, c’est-à-dire les femmes, n’ont pas la possibilité de pleinement contribuer à ces processus.
A Rufiji, les femmes ont une parfaite connaissance des mangroves, puisque c’est là qu’elles ramassent du bois de chauffage, qu’elles cultivent du riz et qu’elles pêchent crabes et poissons. La connaissance que les femmes âgées ont des produits forestiers offerts par les mangroves, et en particulier leurs propriétés médicinales, est réputée et appréciée par les membres de la communauté.
Mais jusqu’ici, dans le cadre de tous les programmes évoqués ci-dessus, les femmes ont eu très peu la possibilité de décider de la gestion des mangroves. Les politiques villageoises précisent que les femmes constituent 40 % des membres des comités des ressources, mais leur culture et leur religion – considérant qu’une femme ne doit pas parler en public – les empêchent souvent d’être entendues.
Les chercheurs font remarquer que des assemblées uniquement composées de femmes qui discuteraient et décideraient pourraient être un moyen de les faire participer. Cependant, ils mettent aussi en garde contre le fait que la mise en place de ces nouveaux espaces pourrait isoler les femmes et les empêcher de s’impliquer dans d’autres actions communautaires.
L’exclusion des femmes de la gestion des mangroves est aussi un problème répandu sur l’ensemble de la planète, bien qu’elles soient exploitées par des femmes sur la plupart des sites étudiés. À ce titre, les chercheurs recommandent d’explorer certaines méthodes qui ont prouvé leur efficacité pour accroître la participation des femmes aux décisions dans les espaces forestiers. Par exemple, les chercheurs du CIFOR et les partenariats mis en place par ce Centre ont eu recours à la « gestion adaptative collaborative » (ACM), qui a été une réussite considérable, grâce au renforcement des capacités en matière d’exercice de responsabilités, au tutorat, à l’adoption de règles de décision qui favorisent le consensus, et cela en s’assurant du soutien des hommes à la prise de responsabilités par les femmes.
TOUS ENSEMBLE MAINTENANT
L’étude du delta de Rufiji a aussi permis de découvrir une absence de coordination entre les organismes de protection des forêts et des mers, qui a diminué l’efficacité de la gestion des mangroves. Par exemple, les fonctionnaires des organismes des forêts ne peuvent pas poursuivre ceux qui coupent illégalement les mangroves lorsqu’ils atteignent la pleine mer, car ce territoire ne relève plus de leur compétence. Cette situation est souvent source de conflit, dont le cas où des fonctionnaires de la protection des mers ont arrêté des fonctionnaires de TFS parce qu’ils patrouillaient un territoire qui ne relevait plus de leur compétence sans qu’ils en aient été informés, car il avait été classé parc marin.
Les grandes lignes de cette histoire se retrouvent dans l’étude mondiale : en effet, les mangroves étant situées à l’interface entre la terre et la mer, il est peu aisé de trouver des dispositions réglementaires qui leur correspondent. C’est la raison pour laquelle leur mode de gouvernance est souvent complexe et/ou inapproprié. Très souvent, c’est le secteur forestier qui en est responsable, mais cela signifie que c’est fréquemment le cadre de gestion des forêts terrestres qui est appliqué, alors qu’il ne convient pas à ces écosystèmes très particuliers.
Les chercheurs préconisent donc l’élaboration de référentiels spécialement conçus pour la gouvernance des mangroves et qui permettraient une coordination entre différents niveaux et organismes publics. En général, ils espèrent que le fait que le carbone bleu fasse la une de tous les médias encouragera une gouvernance coordonnée, participative et adaptée aux besoins de ces écosystèmes cruciaux et des populations dont c’est le territoire.
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