Courtesy of Ndidi Nwuneli

L’entrepreneure qui transforme le potentiel alimentaire de l’Afrique de l’Ouest en or

Grâce à Ndidi Nwuneli, une nouvelle ère s’ouvre pour les systèmes alimentaires et agricoles de sa région

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Ndidi Nwuneli interviendra à la prochaine conférence numérique du Forum mondial sur les paysages Restaurer les zones arides d’Afrique : Accélérer l’action sur le terrainles 2 et 3 juinS’inscrire ici pour y assister.

Cela ne vous étonnera pas d’apprendre que Ndidi Nwuneli a grandi dans une famille où il n’y avait pas de téléviseur ; c’était le choix délibéré de ses parents qui attribuaient des étoiles à leurs enfants s’ils avaient lu un certain nombre de livres en une semaine. Par la suite, la jeune Nigeriane est partie aux États-Unis afin d’étudier à l’université de Wharton (en échangeant une lettre par semaine avec sa mère pendant cette période) puis à Harvard. Fraîchement diplômée, elle a démarré sa carrière chez McKinsey & Company comme consultante en gestion, et est désormais reconnue comme « serial entrepreneure ».

Elle est cofondatrice de AACE Food Processing & Distribution, dont la mission est de valoriser le meilleur de l’Afrique de l’Ouest en termes de céréales, d’herbes aromatiques et de légumes frais, ainsi que cofondatrice et associée gérante de Sahel Consulting Agriculture & Nutrition et de Nourishing Africa. Elle siège au conseil d’administration des organisations suivantes : la Fondation Rockefeller, la Global Alliance for Improved Nutrition (GAIN), AGRA, Nigerian Breweries Plc. et l’African Philanthropy Forum.

Jeune femme ambitieuse, Ndidi Nwuneli n’hésite pas à rappeler son enfance et à déclarer que les valeurs auxquelles elle tient priment sur tout le reste. « Je considère qu’il est essentiel que les jeunes aient des références morales, parce que c’est primordial si l’on veut aller loin », déclare-t-elle. C’est ce qui l’a motivée à créer en 2002 LEAP Africa, qui a vocation à doter de jeunes Africains de compétences professionnelles et à les préparer à exercer des responsabilités pour ouvrir une ère de prospérité durable dans le continent. Elle explique ici à Landscape News ce projet ainsi que son parcours.

Votre carrière vous a amenée à travailler sur des projets dans un grand nombre de secteurs. Pourquoi avoir choisi l’alimentation et l’agriculture au final ?

Quand j’étais enfant, notre maison était entourée d’arbres : manguiers, papayers, goyaviers, cerisiers. Je cultivais des légumes dans notre jardin et, un jour, toutes les branches sont tombées d’un avocatier qui n’avait jamais porté de fruits depuis que nous vivions dans cette maison. Regardant dehors, nous ne comprenions pas ce qui se passait. C’est alors que nous avons vu ces avocats énormes. Pendant 10 ans, pas un fruit. Et puis, un jour, des avocats d’une taille incroyable ! Je les ai mis dans des sacs en plastique et les ai emmenés au marché pour les vendre en grosse quantité. Ce fut ma première transaction commerciale, j’avais 12 ou 13 ans.

Mais je crois que je me suis décidée à travailler dans le secteur agricole quand je suis venue aux États-Unis et que j’ai vu qu’on représentait l’Afrique sous les traits d’un enfant qui a faim. Je veux dire, j’entendais toujours les mêmes choses comme : « Oh, ma mère a l’habitude de dire : « Finis ton assiette parce qu’en Éthiopie, il y a des enfants qui n’ont rien à manger. » Et toutes ces annonces « Envoyez 10 dollars à un enfant en Ouganda » avec une photo d’enfants qui meurent de faim. Cela me mettait vraiment en colère parce que je ne me retrouvais pas dans ces images. Ce n’était pas ma réalité.

Puis en 2008, il y a eu une crise alimentaire mondiale, et je me trouvais alors au Sénégal. Je n’avais jamais vu les pénuries alimentaires que j’ai vues là-bas. Les petits Africains affamés des photos, je les ai vus dans certaines régions du Sénégal. Cela m’a choquée de voir qu’on importait du riz de Thaïlande, et pas du riz en grains entiers, mais des brisures qui sont plus chères. Je voyais aussi des sacs de riz américain portant une grosse étiquette marquée « Don du bon peuple américain ». Je commençais à me rendre compte de l’anormalité de la situation et du fait que les politiques et les interventions faisaient monter les prix et rendaient le système inefficace. C’est ce qui m’a finalement incitée à lancer AACE Foods et Sahel Consulting.

Terry Sunderland, CIFOR
Des agriculteurs récoltent des ananas au Nigeria. Terry Sunderland, CIFOR

Vous avez dit que l’agriculture nigeriane était « le nouvel or » du pays. Qu’entendez-vous par là et comment est-ce que la présentation de la question alimentaire au Nigeria et en Afrique de l’Ouest est en train de changer ?

Le Nigeria est un pays qui dépend du pétrole depuis très longtemps. Mais ce que nous avons réalisé ces dernières années avec les chocs pétroliers, l’intérêt pour les énergies renouvelables et d’autres problèmes, c’est que nous sommes naturellement dotés pour avoir une agriculture d’excellence. Nous pouvons créer de la richesse et des emplois en investissant dans le secteur agricole et alimentaire pour qu’il devienne rentable. En fait, la Banque africaine de développement a estimé que le secteur agro-industriel peut représenter plus de mille milliards d’USD en Afrique. Je suis convaincue que nous pouvons produire de quoi nourrir les populations locales à un prix abordable et proposer des produits qui leur conviennent, voire que nous pouvons aussi devenir exportateurs de produits alimentaires.

Vous avez écrit 11 livres et un certain nombre d’articles dans lesquels vous abordez divers problèmes des systèmes alimentaires en Afrique de l’Ouest, de la progression des fast foods à la fraude alimentaire.  Par quoi faut-il commencer pour transformer l’agriculture et les filières alimentaires de cette région ?

À mon avis, il y a trois axes. Le premier, ce sont les mesures politiques à divers niveaux : local, État, national et régional. Et pour mettre en place ces mesures, il faudrait que tous les ministères et toutes les parties prenantes travaillent ensemble en écosystème. Parce que si l’on procède autrement, qui souffrira en fin de compte ? Les consommateurs et les agriculteurs locaux. C’est ce qui se répète dans les pays d’Afrique de l’Ouest, parce que personne ne fonctionne en écosystème. Depuis la crise du COVID-19, j’observe qu’on me demande pour la première fois comment faire pour décloisonner notre fonctionnement, comment relier les interventions concernant les infrastructures, la santé, le genre, le climat et le commerce avec celles qui touchent l’agriculture, c’est-à-dire comment instaurer un mode en écosystème.

Le deuxième axe, ce sont les PME. Je pense que c’est le chaînon manquant. Vous voyez toutes ces interventions destinées aux petits exploitants d’une part et toutes celles qui ciblent les multinationales d’autre part. Mais vous voulez changer la façon dont travaillent les agriculteurs ou leurs pratiques culturales ? Cherchez une PME qui se décide pour l’intégration verticale en amont afin de transformer son mode de fonctionnement avec les agriculteurs et ses fournisseurs. Et vous parviendrez ainsi au développement durable parce que si les agriculteurs améliorent leur productivité sans qu’il y ait de demande, c’est du gaspillage.

Le troisième axe, c’est de remédier aux disparités qui existent entre les sexes. Tout le monde parle de l’intérêt de remédier à ces disparités, comment cela contribuerait à la croissance du PIB, etc. Mais c’est encore plus important dans le secteur agricole et alimentaire, car ce sont les femmes qui assurent l’intendance de la maisonnée et qui prennent les décisions relatives à la nutrition et à la consommation alimentaire. C’est une pièce essentielle du puzzle.

Courtesy of Ndidi Nwuneli
N. Nwuneli avec des bénéficiaires du programme d’innovateurs sociaux de LEAP en Afrique. Courtesy of Ndidi Nwuneli

Quand on cherche des solutions, on pense rarement aux PME. Comment AACE Foods intervient-elle auprès d’elles ?

AACE travaille avec 10 000 agriculteurs, et nous pouvons les inciter à changer de pratiques parce que l’achat de leur production est garanti. À Sahel Consulting, nous travaillons dans les chaînes de valeur de l’igname, du manioc, du maïs et des laitages, en aidant les PME à jouer un rôle d’entraînement et à développer cette démarche. Par exemple, Sahel Consulting met en œuvre le programme ALDDN (Advancing Local Dairy Development in Nigeria), dans lequel nous travaillons avec six transformateurs qui s’engagent en faveur de l’approvisionnement local. Grâce à cet engagement, nous pouvons regrouper en clusters des milliers de ménages producteurs laitiers, leur enseigner à fournir un lait d’excellente qualité et aussi à améliorer leur nutrition et leurs moyens de subsistance. Ces agriculteurs sont désireux de changer leurs pratiques en raison de la demande, parce qu’ils savent que cette production durable leur procurera des recettes.

Je crois vraiment que les PME sont la clé du problème. Si elles sont efficientes et nombreuses à adopter cette façon de faire, nous obtiendrons alors les effets démultipliés que nous attendons dans cet écosystème parce qu’elles sont le maillon du milieu.

Vous avez dit qu’il fallait que les pays d’Afrique de l’Ouest puissent nourrir leurs populations vulnérables tout en devenant exportateurs de produits alimentaires. Comment résoudre cette équation ?

Actuellement au Nigeria, la part de l’alimentation représente 57 % dans le budget des ménages. Le consommateur ordinaire n’a donc pas les moyens de se nourrir correctement et pour les personnes vulnérables, c’est carrément impossible. C’est la raison pour laquelle un petit Nigerian sur trois souffre de malnutrition chronique ou présente un retard de croissance. Le défi auquel nous sommes confrontés est donc d’accroître la productivité de nos exploitants agricoles, de réduire les pertes survenant après les récoltes et d’augmenter la capacité de transformation localement afin de nourrir davantage de population pour un prix abordable.

En 2020, le gouvernement m’a nommée coordinatrice du Groupe de travail technique sur l’agriculture, la sécurité alimentaire et le développement rural, car nous préparons le plan jusqu’à 2050. L’un des sujets dont nous avons débattu est la question de savoir si notre pays devrait privilégier l’autosuffisance alimentaire ou trouver un substitut aux importations ou tirer la croissance par les exportations. Nous avons décidé que l’autosuffisance alimentaire était prioritaire, en encourageant la production et la transformation pour une alimentation nourrissante, accessible et abordable. Nous allons donc investir pour créer un environnement porteur en vue de remédier aux inefficacités de notre écosystème.

C’est la première priorité. Chaque pays doit s’occuper de ses citoyens en premier, parce que si les enfants ne sont pas bien nourris, cela affecte le développement de leur cerveau, ce qui aura des répercussions sur leurs résultats à l’avenir.

La deuxième est de remplacer les importations. Si nous pouvons cultiver et assurer la transformation au niveau local, nous pourrons réduire la facture des importations. Pour cela, des politiques publiques qui favorisent l’intégration verticale en amont et des mesures incitatives précises sont nécessaires pour promouvoir l’approvisionnement local et dissuader les entreprises d’importer. Il faut aussi qu’elles investissent dans l’innovation pour trouver localement des produits de substitution à leurs intrants et matières premières importées.

La troisième priorité est la croissance tirée par les exportations. Je la mets en troisième position parce que si l’on règle les deux premières priorités, la bataille est déjà plus qu’à moitié gagnée. Même dans le cas de la croissance tirée par les exportations, l’Afrique doit privilégier l’exportation de produits transformés, plutôt que de produits de base, pour créer plus de valeur et accroître les recettes localement. C’est la raison pour laquelle il faut recourir à des politiques publiques cohérentes susceptibles de créer un cadre propice et à un fonctionnement en écosystème afin d’harmoniser les mesures incitatives et d’avoir une bonne communication entre tous les acteurs essentiels.

Axel Fassio, CIFOR
Des enfants dans une école au Ghana. Axel Fassio, CIFOR

Vous avez fondé LEAP pour éduquer les jeunes Africains et les équiper pour devenir leaders et entrepreneurs. Vous espérez que cette génération montante va prendre différemment en main les destinées du continent, mais comment ?

La mission de LEAP est d’inspirer, de donner des moyens et d’équiper la prochaine génération de leaders dynamiques et visionnaires qui transformeront l’Afrique avec des principes bien définis. On dit souvent aux jeunes qu’ils sont les leaders de demain. Chez LEAP, nous leur disons : « Vous êtes les leaders d’aujourd’hui et de demain. Vous avez l’énergie de la jeunesse et vous êtes disposés à prendre des risques. Vous débordez de créativité. » Il est important que nous fassions en sorte que les jeunes réalisent qu’ils sont agents de changement et qu’ils peuvent faire évoluer la situation dans leur sphère d’influence. Nous proposons des formations, des stages et du mentorat sur le développement personnel, l’encadrement et l’employabilité. Nous permettons aussi à notre jeunesse de démarrer des projets d’évolution dans leur communauté pour améliorer la vie des autres.

L’équipe de LEAP est aussi très soucieuse de l’enseignement secondaire. Nous nous adressons aux plus jeunes, âgés de 13 à 15 ans, et grâce au soutien de la Fondation MasterCard, nous formons des professeurs pour enseigner notre programme dans six pays africains. Et pour toucher le plus grand nombre, notre programme s’inscrit dans le cadre du système scolaire et peut être dupliqué facilement.

Votre identité chrétienne est indissociable de votre personnalité et vous ne vous en cachez pas. Pouvez-vous nous expliquer comment vous vivez votre foi ?

Mon engagement pour vivre dans l’intégrité en donnant du sens à ma vie s’enracine profondément dans ma foi chrétienne. Dieu m’inspire, me donne ma passion et ma force. Je ne m’imagine pas séparée de Dieu. J’ose maintenant parler de ma foi dans mes activités professionnelles. C’est parce que c’est une part si importante de moi, de mes valeurs. C’est ma boussole. En tant qu’individus, femmes et cheffes d’entreprise, je considère que nous ne devons pas laisser notre authentique personnalité à la porte d’une salle de réunion. Je crois fermement que personne ne devrait être forcé à cacher qui il est ou qui elle est, dès lors que l’on traite autrui avec respect et dignité.

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