Autumn Peltier porte le poids de l’eau du monde sur ses épaules. En tant que commissaire en chef de l’eau à la Première Nation Anishnawbek au Canada, elle est une défenseure de l’eau propre et des droits des peuples autochtones. Elle n’a que 15 ans.
« L’eau originelle circule en nous, l’élément vital de la Terre nourricière qui nous soutient, alors que nous venons de cette terre », a déclaré A. Peltier dans un discours prononcé au siège de l’ONU à New York, le 28 septembre 2019. « La Terre nourricière a le pouvoir de nous détruire tous, et si nous continuons à la blesser, elle pourrait un jour décider de tout détruire. »
Le discours de la jeune leader a ouvert le Global Landscapes Forum (GLF), le dernier événement de la Semaine du climat à New York, appuyé par des grèves dirigées par des jeunes dans le monde entier ; des mots pointus de Greta Thunberg, la militante suédoise âgée de 16 ans ; et les délégués appelant les années 2020 à devenir la décennie sur le climat. Proposant un antidote à ces tollés, le GLF est engagé dans une solution éprouvée pour ralentir le réchauffement planétaire et lutter contre le changement climatique : la restauration des paysages.
En mars de cette année, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la « Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes », consacrant 10 ans à partir de 2021 à la recherche, les connaissances traditionnelles, la finance, l’activisme, les consommateurs, et la sensibilisation du public aux avantages économiques, sociaux et environnementaux de la restauration des paysages dégradés.
Selon le Partenariat mondial sur la restauration des forêts et des paysages (GPFLR), il existe environ 2 milliards d’hectares de paysages dégradés – un territoire de la taille de l’Amérique du Sud – qui impacte négativement la vie d’au moins 3,2 milliards de personnes, et coûte 10 % de perte du PIB mondial.
L’année dernière, un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) avait alerté sur la nécessité de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 degré Celsius au-dessus des niveaux préindustriels d’ici 2030, mais un autre rapport du même organisme, publié en août dernier, indiquait que le réchauffement dans l’air terrestre est déjà en moyenne supérieure de 1,53 degrés Celsius à ces niveaux.
Selon Inger Andersen, directrice exécutive du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), le coût de la restauration de 350 millions d’hectares du territoire dégradé s’élève à environ 800 milliards de USD. Elle a souligné que cela ne représentait que deux années de subventions aux combustibles fossiles. Robert Nasi, directeur général du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) a mis les choses en perspective, ajoutant que la dépense militaire mondiale est de 1 800 milliards de dollars US.
La restauration de ces 350 hectares pourrait toutefois générer des revenus de 9 000 milliards USD.
« Cette décennie concerne notre survie même », a déclaré I. Andersen.
Alexandria Villaseñor, cofondatrice de la grève climatique aux États-Unis et de l’organisation Earth Uprising, a déclaré que la crise climatique menaçait le droit des enfants à la vie, comme le stipule l’article 6 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant.
Pour informer la Décennie, l’événement a porté sur l’état actuel des différents écosystèmes du monde, y compris les forêts, les paysages agricoles, les montagnes, les terres sèches et les pâturages, les tourbières et les terres humides, ainsi que sur les océans et les zones côtières. Les discussions ont mis en évidence des solutions rentables pour restaurer chaque type d’écosystème, telles que la culture de la biomasse destinée au biocarburant dans les tourbières ; l’intégration des forêts et des terres agricoles pour améliorer la santé des sols et la biodiversité dans la production alimentaire ; ou la mobilisation des individus pour planter des arbres via une application téléphonique.
Presque toutes les méthodes de restauration discutées sont ce que les environnementalistes appellent des « solutions du changement climatique fondées sur la nature », un terme qui a attiré l’attention dans les discussions internationales sur le climat.
« Nous sommes dans une course contre le temps, mais nous ne pouvons pas être dans une course contre la nature », a déclaré Tony Simons, directeur général du Centre mondial de l’agroforesterie : « Ce doit être une course avec la nature. »
Le rôle des peuples autochtones, dont les terres coutumières abritent 80 % de la biodiversité mondiale, est au cœur de la Décennie, aussi que les efforts en faveur de l’environnement et de la durabilité qui amplifient les connaissances traditionnelles sur les méthodes de restauration qui fonctionnent.
Hindou Oumaro Ibrahim, coordinatrice de l’Association des femmes et des peuples autochtones du Tchad, un pays où les deux tiers des terres sont encore en dégradation en raison du changement climatique, de l’avancement du désert et de la perte de biodiversité, a donné l’exemple de sa grand-mère : « Elle n’a pas un doctorat en restauration de terres, mais elle est maintenant reconnue par le GIEC car elle est une experte dans sa terre. Alors, pourquoi ne pouvons-nous pas cesser de dire « nous devons être des experts en la matière » et appeler ceux qui font la restauration depuis des siècles, car les peuples autochtones qui n’ont pas des doctorats savent mieux comment restaurer durablement leurs terres ? »
Les changements nécessaires dans les systèmes alimentaires et la consommation afin de protéger les paysages ont aussi été discutés, allant des régimes alimentaires aux subventions pour les agriculteurs. Le professeur de Harvard Walter Willett, l’un des principaux nutritionnistes du monde et co-commissaire du rapport EAT-Lancet, publié en 2018, a encouragé les régimes alimentaires composés de moitié de fruits et de légumes, afin de réduire les pressions sur les systèmes de santé en réduisant le risque de diabète type 2, ainsi que les émissions à effet de serre à travers la réduction du bétail et des pâturages non durables.
Le déjeuner a été servi par l’entreprise Impossible Foods, qui produit de la viande à base de plantes. Ils utilisent un substitut à base de soja qui produise 90 % moins d’émissions de gaz à effet de serre que la viande, et nécessite environ 28 mètres carrés de terres en moins. Le substitut de viande hachée de la marque est considéré avoir le même goût que le bœuf, et les ventes de la marque ont quintuplé depuis le début de l’année 2019.
Chris Newman, cofondateur de Sylvanaqua Farms, une société dans le secteur de la permaculture, a parlé d’encourager les agriculteurs à planter de manière durable, en tenant compte de la santé des sols, de la biodiversité et de l’utilisation de l’eau dans la production alimentaire. Un soutien plus important des financements privés est crucial pour que les agriculteurs reçoivent un salaire équitable et incitent les générations futures à continuer à apprendre à cultiver, et à intégrer les connaissances autochtones aux pratiques agricoles.
Le président de l’Organisation mondiale des agriculteurs, Theo de Jager, a souligné que les discussions internationales sur le changement climatique devraient inclure une plus grande représentation des agriculteurs, notant qu’au cours des 27 années écoulées depuis la signature du Protocole de Kyoto, les agriculteurs étaient peu inclus dans les processus décisionnels internationaux.
« Les graines dorment profondément, dans l’attente que les conditions de sol favorables retrouvent leur état », a dit Janene Yazzie, co-responsable du Groupe majeur pour le développement durable des peuples autochtones.
Mais la restauration ne peut devenir un silo : elle doit être accompagnée de la décarbonisation et la réduction de la dépendance aux combustibles fossiles. La montagnarde, photographe et documentariste Taylor Rees a parlé de son récent travail de tournage dans le désert andin d’Atacama, où l’extension des mines de lithium pour batteries de voitures électriques se fait aux dépens des peuples autochtones de la région, nécessitant d’énormes quantités d’eau douce et empêchant sur les terres coutumières. « C’est fou de penser que les voitures électriques pourraient aussi mettre des vies en danger », a-t-elle déclaré. « Nous devons être assez courageux pour faire face aux complexités. »
« Je l’ai dit une fois et je le répète », a déclaré A. Peltier, « nous ne pouvons pas manger de l’argent ni boire de l’huile. »
« Nous devons être un déluge », a déclaré Bill McKibben, fondateur de 350.org et auteur, suivant la métaphore d’A. Peltier. « Nous devons être une inondation humaine au cours de la prochaine décennie, emporter une grande partie de l’ancien monde et laisser la place à ce qui va suivre. »
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